Rapport entre philosophie et physique

une complémentarité possible

 

Quand je parle d'explication causale, il s'agit de donner la raison physique d'un phénomène. À partir du moment où les choses sont formulées de manière mathématique, il ne peut pas s'agir de la raison physique ultime. En effet, une loi en physique reste une abstraction qui tend à correspondre, sans jamais y parvenir totalement, à l'ordre naturel.

Dans une théorie, en physique, il y a plusieurs niveaux d'abstraction :
• la vision du monde – même si cette vision n'est pas explicite, elle est plus ou moins présente de manière implicite dans les concepts initiaux de la théorie ;
• l'aspect mathématique ;
• la formulation opérationnelle.

Une vision du monde est plus ou moins vraie. Une théorie en physique est plus ou moins vérifiée. Une vision du monde, dans son universalité, ne peut pas être complètement vérifiée.

On peut définir la physique théorique comme étant l'approche de la cohérence dans la structure et le mouvement du monde physique, dans une connaissance des proportions quantitatives et selon un certain formalisme mathématique : afin de modéliser ce comportement dans des lois, pour pouvoir le prédire. Les concepts premiers d'une théorie doivent traduire cette cohérence dans la structure et le mouvement du monde physique. C'est de cette manière qu'une certaine vision du monde est présente en physique.

Si la philosophie découvre des principes qui ont non seulement une valeur du point de vue de l'être et de la pure intelligibilité, mais aussi de l'efficience, une certaine rencontre pratique entre philosophie et physique est peut-être possible (passage de l'analyse de l'être à celle des phénomènes). Il reste à préciser de quelle manière et à quelles conditions.

Il y a divers points de contact possibles entre philosophie et science :
• la question des fondements du savoir (qu'atteint cette science dans la réalité, du point de vue de ce qu'est cette réalité) ;
• l'aspect critique (par exemple « l'objection de la navette et du missile » qui remet en cause la conception du temps issue de la relativité restreinte) ;
• une rencontre pratique (quand deux savoirs, dans la connaissance d'un objet particulier, en atteignant ce qu'il y a de plus fondamental dans la réalité, se découvrent comme complémentaires).

Il reste à préciser de quelle manière et à quelles conditions cette rencontre pratique entre philosophie et physique peut s'effectuer – c'est un vaste sujet. Pour arriver à formuler une théorie générale de l'univers, on est obligé de passer par cette rencontre pratique, car il est nécessaire de respecter la notion de causalité. Ce qui n'est pas le cas, comme expliqué précédemment, de la relativité.

Cet aboutissement est considéré, par certains, comme utopique, car ils ne considèrent pas la philosophie comme une science. Je ne partage pas ce point de vue. Pour qu'une rencontre pratique entre philosophie et physique puisse s'effectuer, il faut donner, d'un point de vue épistémologique, une définition suffisamment générique du concept de science, qui puisse les englober toutes les deux.

Dans ce but, voilà la définition que je propose :
« (…) on retrouve dans toute démarche scientifique des critères communs. Ainsi toute approche scientifique est une analyse qui cherche à découvrir le nécessaire dans un domaine particulier, ce nécessaire étant atteint à travers des principes que chaque science découvre ou établit elle-même en fonction de ce qu'elle cherche à connaître. D'un point de vue critique ou expérimental, chaque science découvre comment la pensée se rapporte à son objet, et, à partir de là, elle thématise cette relation. « Le nécessaire », c'est, tout d'abord, l'universel, découvert à partir mais au-delà de l'aspect particulier et contingent ; et c'est aussi, dans un deuxième temps et grâce à un retour, une nouvelle connaissance du particulier à la lumière de l'universel. Par ailleurs chaque science a conscience de sa façon de procéder, elle opère un réajustement entre l'universalité des principes qu'elle utilise et la connaissance de la réalité dans sa modalité contingente ; chaque science de manière critique ou expérimentale découvrira comment ce réajustement doit s'effectuer. 

Ce paragraphe donne une définition très large du concept de science. Celle-ci peut être appliquée indifféremment à la philosophie ou à la physique, elle offre une universalité particulière autorisant une rencontre pratique entre ces deux domaines. » Extrait du livre « À la recherche de la théorie de l'univers », 1990, Philippe de Bellescize, qui n'a pas été présenté à l'édition et a été publié à compte d'auteur. Pour la petite histoire, je l'avais envoyé à l'époque à Hubert Reeves, qui m'avait répondu aimablement.

Le principe utilisé, par la philosophie réaliste dans sa démarche scientifique (au sens qui a été donné précédemment), c'est la causalité, que l'on peut traduire ainsi : il est nécessaire dans une réalité, présentant structure et ordre, qu'il y ait quelque chose, en elle, qui en rende compte. Ce que l'on peut appeler causalité. Toute cause est principe, mais tout principe n'est pas cause, car la cause est un principe existant réellement.

« Jusqu'à quel point la philosophie peut-elle être considérée comme une science ? C'est l'analyse causale (…) qui permet à la philosophie d'être une science. Or toute l'analyse causale, de manière ultime, repose sur la métaphysique. La cause implique quelque chose qui demeure, quelque chose qui demeure du point de vue de l'être. La science étant la découverte du nécessaire, encore faut-il découvrir le fondement de ce nécessaire dans la réalité existante (…). Si c'est une idée « a priori » qui me permet de découvrir une certaine nécessité dans l'analyse de cette réalité, l'analyse en philosophie de cette réalité restera subjective, car ce qui fonde la nécessité n'aura pas été découvert dans cette réalité même. » Extrait du livre « À la recherche de la théorie de l'univers », 1990, Philippe de Bellescize.

Le principe utilisé par la physique, dans sa démarche scientifique, est la loi physique, qui reste, comme exposé précédemment, une abstraction qui tend à correspondre, sans jamais y parvenir totalement, à l'ordre naturel. C'est pour cela que, dans une théorie physique, il y a une certaine indépendance des niveaux d'abstraction, décrits précédemment dans ce message.

Mon analyse philosophique du monde physique tend à démontrer que le principe moteur du monde physique agit de manière immanente, et par interrelation, selon la détermination des éléments (1). Ce qui n'a été que peu explicité, à ma connaissance, par la philosophie. Si on n'avait pas un principe moteur agissant de cette manière-là, les corps seraient seulement juxtaposés les uns aux autres, et il n'y aurait plus d'unité de l'univers. Ce mode d'action du principe moteur de l'univers nous conduit, presque immanquablement, à une conception complètement relationnelle de l'espace-temps.

Cette conception n'est pas entièrement compatible avec certaines conclusions de la relativité. La question de la nature du principe moteur du monde physique n'est pas du domaine de la physique. Par contre, elle peut très bien, dans une vision générale du monde physique, tenir compte de ce mode d'action du principe moteur, en se plaçant dans le cadre d'une approche complètement relationnelle de l'espace-temps.

De cette manière, nous arrivons à une certaine rencontre pratique entre philosophie et physique, où chacun des deux domaines apporte sa part de précision.

Note 1 : Cela correspond assez bien à la théorie du bootstrap donnée par Chew :
« Voici une définition (…) du bootstrap donnée par Chew : Le seul mécanisme qui satisfait aux principes généraux de la physique est le mécanisme de la nature (…); (…) Les particules observées (…) représentent le seul système quantique et relativiste qui peut être conçu sans contradiction interne (…). Chaque particule nucléaire joue trois rôles différents : 1) un rôle de constituant des ensembles composés ; 2) un rôle de médiateur de la force responsable de la cohésion de l’ensemble composé ; et 3) un rôle de système composé. Dans cette définition, la partie apparaît en même temps que le tout. La nature est conçue comme étant une entité globale, non séparable au niveau fondamental. » (Basarab Nicolescu, Nous, la particule et le monde, Le Mail, 1985, pages 41-42).

Il reste à appliquer cela à l’espace et au mouvement.


Philippe de Bellescize